Liberté de la Presse au Bénin: «...il faut que chaque acteur joue réellement sa partition." – Opinion

Dans le cadre de la célébration de la 30è édition de la journée internationale de la liberté de presse, Icône Tv a reçu Socrate Sosthène Tobada, Enseignant-Chercheur en Sciences de l'information et de la communication et journaliste freelance. Avec une analyse pointue, il fait la lumière sur les maux qui ternissent l'image de la presse au Bénin. Lisez plutôt!

Icône Tv : Liberté de la presse au Bénin, quel est selon vous l'état des lieux ?

Socrate Sosthène Tobaba: On ne saurait faire l'état des lieux de la liberté de la presse sans prendre en compte certains indicateurs fondamentaux. Il s'agit notamment du pluralisme de l'information, de l'indépendance des médias, du cadre légal et du contexte économique. Déjà rien qu'à se référer aux derniers rapports de l'Ong international Reporter Sans Frontière (Rsf) réputée en la matière, on peut remarquer que le Bénin a beaucoup reculé ces dix (10) dernières années en matière de la liberté de la presse : de 2012 à 2019 le pays est classé entre 75ème et 96ème et dépasse la 110ème place entre 2020 et 2022, soit respectivement 113ème, 114ème et 121ème sur 180 pays faisant l'objet de l'évaluation. C'est dire donc que la chute devient plus spectaculaire depuis 2020 et place le Bénin dernière plusieurs pays de la sous région comme le Niger, le Togo, le Ghana, le Sénégal et la Côte d'Ivoire.

En effet, sur le plan du pluralisme de l'information, il faut faire remarquer que le Bénin est l'un des rares pays de la sous-région ayant un paysage médiatique foisonnant et riche. Plus d'une quatre-vingtaine de stations de radiodiffusion, environ une vingtaine de chaînes de télévision,  et plus d'une centaine de journaux aussi bien en papier que presse en ligne. Toutefois, du point de vue économique, ces médias peinent à être de véritables entreprises de presse telles que prononcées par le code de l'information et de la communication adopté en 2015 en République du Bénin. Ce qui fait que le secteur est sévi par une précarité qui ne dit pas son nom. Peu de journalistes ont un salaire mensuel fixe. Cet état de chose donne naissance à ce que plusieurs observateurs ont appelé «le journalisme alimentaire ». Vous concevez avec moi que cela met à mal l'indépendance des médias car plusieurs organes de presse vivent des contrats publicitaires avec l'exécutif. La contractualisation n'est pas en elle-même une mauvaise chose. Mais, l'expérience depuis plusieurs régimes en passant par celui en exercice ne favorise pas l'indépendance du quatrième pouvoir qu'est la presse. Tenez, comment pourriez-vous affirmer votre indépendance, si vous avez un contrat avec l'exécutif et que vous-même en tant qu'organe de presse vous ne vous créez pas d'autres sources de revenues substantielles, susceptibles de vous mettre à l'abri en cas d'éventuelles rupture à l'improviste ? Une question qui pointe du doigt le modèle économique de la presse au Bénin.

Sur le plan légal, la liberté de la presse est garantie par la constitution du Bénin et protégée par la loi N°2015 du 20 mars 2015 portant code de l'information et de la communication en République du Bénin. Cette dernière loi dépénalise dans l'une de ses dispositions les délits de presse. Autrement dit, elle a supprimé les peines privatives de liberté et garanti le droit d'accès aux sources d'information. Malgré cela, la loi N°2017-20 du 20 avril 2018 portant code du numérique est souvent pour s'en prendre aux professionnels des médias qui informent via les plateformes numériques même si on les tasse de n'avoir pas la carte de presse. Cette pièce délivrée par la Haute autorité de l'audiovisuel et la communication (Haac) dont  la condition de délivrance a d'ailleurs défrayé la chronique en avril dernier (environ un mois). Les professionnels des médias du Bénin n'ont pas vu leurs cartes de presse renouvelées après expiration. Depuis  plus d'un an que les journalistes ont fourni leurs dossiers de renouvellement pour certains et d'établissement de la carte de presse pour d'autres, la Haac peine à les satisfaire. Pourquoi cet état de chose?

L'Union des professionnels des médias du Bénin (Upmb) a donné de la voix pour dénoncer le fait. Qu'est-ce qui bloque la délivrance des cartes de presse aux professionnels des médias ? On ne saurait le dire.

 

Icône Tv: Les professionnels des médias sont-ils vraiment libres, sous le régime actuel ?

 

Socrate Sosthène Tobaba: L'indépendance des médias, c'est le libre exercice du métier. Dans la pratique, demandons-nous si les journalistes exercent librement la profession ? En tout cas beaucoup de faits donnent une réponse par la négative à cette interrogation. Par exemple, le 18 Avril 2019, la police a pris d’assaut la maison de Casimir Kpedjo, responsable du magazine en ligne privé "Nouvelle Economie", et l’a gardé en détention. Le journaliste a été traduit devant un tribunal le 23 Avril 2019 pour diffusion de fausses informations sur l’économie du Bénin. Le 26 juillet 2018, l’organe de régulations des médias a suspendu pour une durée indéterminée les publications du journal privé "La Nouvelle Tribune". Le 23 Février 2018, le journal "Audace Info" ainsi que sa publication en ligne ont été suspendus par la Haac pour un article considéré comme une insulte au président du Bénin, Patrice Talon. Le 12 Novembre 2017, la direction du site d’informations "Le Pharaon" s’est plainte de ce que l’accès à leur site ait été bloqué sur ordre présumé des autorités.

Début octobre 2017, les fréquences de deux stations de radio, "Soleil Fm" et "Capp Fm", étaient respectivement brouillées et piratées aux heures de grande écoute. Les autorités ont nié toute ingérence, mais les coupables n’ont pas été identifiés. La radio "Soleil Fm" sera supprimée définitivement plus tard car sa convention expirée ne sera pas renouvelée. La présence du promoteur Sébastien ADJAVON (exilés et condamné) sera exigée par la Haac.  La fréquence est attribuée à une nouvelle radio. La liste des faits n'est pas exhaustive. Tous ces éléments mis en ensemble, montrent que la liberté de la presse est entravée ou ne se constate pas totalement dans la pratique.

 

Icône Tv: Le président Patrice Talon envisage des réformes dans le secteur. Que peut-on espérer de ces réformes selon vous?

Socrate Sosthène Tobaba: Je n'ai pas encore connaissance des tenants et aboutissants de cette réforme.

Néanmoins ce que l'on peut souhaiter c'est que l'autorité de régulation délivre les cartes de presse aux professionnels remplissant les critères. Que  la Haac qui est garant de la liberté de la presse joue pleinement ses rôles. Il faut espérer que les organes de presse privés deviennent des entreprises de presse dignes du nom. Nous souhaitons également que la dépénalisation des délits de presse soit une réalité et que les journalistes aussi respectent le code de déontologie et d'éthique dans l'exercice de leur profession. En un mot, il faut que chaque acteur joue réellement sa partition.

 

Propos recueillis par Barnabé Kintohou  

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